Microbiote et digestion : ce que les sportifs révèlent
2025-09-26

Quand on parle de performance sportive, on pense rarement à nos intestins. Pourtant, ce qu'il se passe dans notre ventre influence directement nos capacités athlétiques, bien au-delà de la simple digestion. Anthony Berthou, nutritionniste du sport et conseiller scientifique de l'application Yuka (utilisée par plus de 30 millions de personnes), lève le voile sur ces mécanismes méconnus. Co-auteur du best-seller "Le guide de l'alimentation saine" et ancien triathlète de haut niveau, il possède cette double casquette rare qui lui permet de comprendre intimement les défis des sportifs. Son expérience auprès des équipes de France et olympiques, combinée à son enseignement à l'EPFL de Lausanne, en fait une voix incontournable sur ces questions. Dans cet échange, il nous explique pourquoi même des champions comme Djokovic ou Justine Henin peuvent souffrir de troubles digestifs malgré un suivi nutritionnel pointu, et comment notre écosystème intestinal influence nos performances bien plus qu'on ne l'imagine.

 

Découvrez l'état de votre microbiote intestinal

Analysez votre santé digestive et obtenez des recommandations personnalisées pour optimiser votre écosystème intestinal : Faites votre bilan microbiote complet

Écouter le podcast
Présentation de l'invité

Anthony Berthou : un parcours entre terrain et recherche

L'histoire d'Anthony Berthou avec la nutrition commence sur les terrains d'entraînement. Membre de l'équipe de France junior de triathlon, il développe très jeune une passion pour la nutrition sportive, à une époque où le sujet restait marginal. "On parlait beaucoup des pâtes, du riz, des pommes de terre pour la nutrition du sport, il y avait le dogme des glucides dans les années 80", se souvient-il. Cette curiosité précoce va façonner toute sa carrière.

Devenu nutritionniste-thérapeute et expert en micronutrition, il accumule les casquettes sans jamais perdre le fil conducteur de sa passion initiale. Son rôle de conseiller scientifique pour Yuka lui permet de toucher le grand public avec des conseils nutritionnels fondés sur la science. En parallèle, il enseigne les enjeux mondiaux 2050 à l'EPFL, où il développe une approche systémique de l'alimentation qui dépasse largement le cadre sportif. Cette vision globale intègre les dimensions écologiques, toxicologiques et même géopolitiques de nos choix alimentaires.

Son livre phare, le "Traité de la pleine santé par l'alimentation durable", représente plus de dix ans de travail et compile plus de 10 000 références scientifiques. Un travail titanesque qui témoigne de sa volonté de construire des ponts entre la science fondamentale et l'application pratique. Il intervient aussi dans sept diplômes universitaires différents, formant la nouvelle génération de professionnels.

Côté terrain, son CV impressionne : suivi d'équipes de France et olympiques en triathlon, course à pied, ski alpin, patinage artistique, canoë-kayak, cyclisme sur piste... Sans oublier les athlètes d'épreuves extrêmes qui font appel à son expertise. Après plus de vingt ans d'expérience, il possède ce recul unique pour analyser l'évolution de la nutrition sportive et ses dérives actuelles.

Résumé

L'écosystème intestinal : le chef d'orchestre méconnu

Oubliez l'image simpliste de l'intestin comme simple tuyau digestif. Anthony Berthou nous propose une vision radicalement différente : "On va parler vraiment d'écosystème intestinal parce qu'on a ce fameux trépied entre la muqueuse, le microbiote et l'immunité intestinale". Ces trois composants fonctionnent en symbiose et leur équilibre conditionne bien plus que notre confort digestif.

Pendant l'effort physique, notre corps fait des choix drastiques. Le sang est massivement redirigé vers les muscles actifs et les organes vitaux pour la performance. Les intestins passent alors au second plan, avec des conséquences importantes. "On estime que l'ischémie peut représenter quasiment 80% de la valeur de repos", précise Anthony Berthou. En clair, nos intestins ne reçoivent plus qu'un cinquième de leur irrigation normale pendant l'effort intense.

Le problème survient à l'arrêt de l'exercice. Le sang afflue brutalement vers les intestins, apportant avec lui une vague d'oxygène qui génère paradoxalement un stress oxydatif majeur. Ce phénomène d'ischémie-reperfusion fragilise progressivement la barrière intestinale, même chez des athlètes qui ne ressentent aucune gêne digestive pendant leurs séances.

Perméabilité intestinale : quand la barrière cède

Le concept de perméabilité intestinale reste abstrait pour beaucoup. Imaginez votre intestin comme une frontière sophistiquée qui laisse passer les nutriments tout en bloquant les substances indésirables. Chez le sportif, cette frontière subit des assauts répétés qui peuvent la rendre trop perméable.

Le piège, c'est que cette hyperperméabilité passe souvent inaperçue. "On peut avoir ce phénomène de perméabilité intestinale qui existe de manière résiduelle, et qui n'est pas forcément associée à des symptômes et à des troubles fonctionnels", explique Anthony Berthou. Un athlète peut donc développer ce problème sans jamais s'en rendre compte, jusqu'à ce que des complications apparaissent.

Les sports avec impacts mécaniques aggravent la situation. La course à pied illustre parfaitement ce phénomène : chaque foulée génère une onde de choc qui secoue littéralement nos intestins. Les statistiques donnent le vertige : "On estime qu'en moyenne, elle est de 30 à 50 % toute distance confondue, toute pratique confondue au niveau de la course à pied. Mais sur des efforts d'ultra, par exemple, on a 85 à 90 % des athlètes qui vont être sujets à des troubles digestifs".

Quand la barrière intestinale devient trop perméable, des molécules indésirables comme les lipopolysaccharides (fragments de bactéries) passent dans le sang. S'ensuit une réaction inflammatoire en chaîne qui peut se manifester de multiples façons : tendinites à répétition, infections respiratoires fréquentes, récupération difficile, baisse inexpliquée des performances...

Le microbiote, acteur clé de la performance

Les découvertes sur le lien entre microbiote et performance sportive bouleversent nos certitudes. L'activité physique modérée enrichit la diversité de notre flore intestinale, particulièrement chez les enfants. Mais attention à l'excès : "On a toujours cette courbe un peu en U, c'est-à-dire qu'on voit que l'activité régulière va exercer un effet bénéfique jusqu'à un certain stade, qui peut potentiellement devenir délétère", prévient Anthony Berthou.

L'étude des marathoniens de Boston a révélé des résultats stupéfiants. Les meilleurs performers hébergeaient davantage de bactéries Prevotella dans leurs intestins. "On a observé que cette dominante de Prevotella était plutôt un facteur qui était positif, puisqu'on avait un recyclage de l'acide lactique lié à la production au cours de l'effort qui était plus efficace". Ces bactéries transforment l'acide lactique (déchet de l'effort) en acides gras utilisables comme carburant supplémentaire. Un recyclage malin qui repousse les limites de l'endurance.

Les expériences sur les souris ont confirmé ce rôle crucial du microbiote. Des souris privées de flore intestinale voient leur endurance chuter drastiquement. Réimplantez-leur un microbiote, et leurs performances reviennent. La conclusion des chercheurs est claire : "les acides gras à chaîne courte qui étaient donc issus du microbiote étaient potentiellement des substrats énergétiques secondaires qui pouvaient venir retarder l'épuisement du stock de glycogène au cours de l'effort".

Le piège de l'hyperglucidique dans le sport moderne

La nutrition sportive actuelle file parfois un mauvais coton. La course aux glucides atteint des sommets inquiétants. "On a des recommandations parfois à 120 grammes par heure de glucides au cours de l'effort, ce qui est énorme. On a des protocoles même à 150 grammes par heure", s'alarme Anthony Berthou. Pour visualiser, 120 grammes de glucides équivalent à environ 30 morceaux de sucre !

Cette surenchère glucidique s'accompagne du concept de "gut training" : entraîner son système digestif à tolérer ces quantités astronomiques. Mais à quel prix ? "Pour avoir une capacité à tolérer de telles quantités de glucides pendant l'effort, ça sous-entend que les athlètes se mettent à consommer beaucoup de glucides dans les semaines, dans les mois qui précèdent". On habitue progressivement l'organisme à un régime hyperglucidique permanent, avec des conséquences potentiellement désastreuses sur l'écosystème intestinal.

Cette obsession des glucides fait oublier l'essentiel. La qualité des graisses consommées module l'inflammation. Les antioxydants naturels combattent le stress oxydatif généré par l'effort. "Le statut en acide gras est essentiel [...] Les apports en oméga 3 à chaîne longue, la diminution de l'acide arachidonique, d'avoir des statuts en antioxydants qui soient aussi adaptés", rappelle Anthony Berthou. Ces éléments conditionnent la capacité du corps à s'adapter à l'entraînement et à progresser.

Reconnaître les signes d'alerte

Comment savoir si votre écosystème intestinal souffre ? Les signaux évidents incluent ballonnements, douleurs abdominales, troubles du transit. Mais Anthony Berthou attire l'attention sur des symptômes moins évidents : "C'est plus, encore une fois, l'existence de troubles digestifs [...] mais surtout ces problématiques extra-digestives chroniques d'ordre immunitaire inflammatoire, voire les perturbations hormonales, notamment sur l'altération du cycle du cortisol".

Un rhume après chaque compétition intense ? Une tendinite qui ne guérit jamais vraiment ? Une fatigue persistante malgré du repos ? Ces signaux peuvent traduire une inflammation silencieuse liée à l'hyperperméabilité intestinale. Les efforts intenses génèrent naturellement de l'inflammation : "On a une fenêtre immunitaire pendant les jours et les semaines qui suivent ce type d'épreuve". Chez un athlète en bonne santé, cette inflammation se résout rapidement. Sinon, elle persiste et mine progressivement l'organisme.

Les tests biologiques permettent d'objectiver ces dysfonctionnements : zonuline pour la perméabilité intestinale, calprotectine fécale pour l'inflammation digestive, analyse des métabolites organiques urinaires pour le fonctionnement global. Ces outils aident à sortir du flou et à adapter la prise en charge.

Repenser l'alimentation du sportif

Anthony Berthou plaide pour une révolution dans l'approche nutritionnelle du sport. Sa vision dépasse largement le simple calcul calorique : "Tenter de modéliser un modèle alimentaire qui soit le plus résilient possible, c'est-à-dire qui va intégrer autant des enjeux de nutrition, de santé individuelle, mais aussi des enjeux [...] à l'échelle moyen et long terme, et à l'échelle collective".

Cette approche systémique peut bousculer. L'avocat, excellent nutritionnellement, pose des questions écologiques avec son bilan carbone. Le saumon, riche en oméga-3, accumule potentiellement des polluants. Ces paradoxes obligent à penser différemment.

Le message central reste simple : "Un sportif ne peut être performant qu'à partir du moment où il est en bon état de santé [...] La base, le fondamental, c'est ce qu'on va manger au quotidien". Exit la recherche du complément miracle ou de la stratégie nutritionnelle révolutionnaire. La vraie performance se construit jour après jour, repas après repas.

Nourrir son microbiote pour performer durablement

Comment prendre soin concrètement de son écosystème intestinal ? D'abord, miser sur la diversité alimentaire. Les fibres des fruits, légumes, légumineuses et céréales complètes nourrissent nos bonnes bactéries. Les aliments fermentés (kéfir, choucroute, kimchi) apportent des renforts probiotiques bienvenus.

Le timing des repas compte aussi. "On a beaucoup d'athlètes qui vont manger beaucoup plus, parce que l'effort amène à une dépense calorique plus importante, mais parfois de manière complètement anarchique et déstructurée", observe Anthony Berthou. Respecter des horaires réguliers et adapter ses repas aux rythmes circadiens optimise la récupération.

Les antioxydants naturels méritent une place de choix. Thé vert, cacao, baies, curcuma, gingembre... Ces aliments combattent le stress oxydatif généré par l'entraînement intensif. Ils agissent aussi sur l'expression de nos gènes et favorisent les adaptations positives à l'effort.

Enfin, soigner la qualité des graisses consommées. Privilégier les oméga-3 (poissons gras, noix, graines de lin) au détriment des oméga-6 pro-inflammatoires module favorablement la réponse inflammatoire. L'inflammation reste nécessaire pour progresser, mais elle doit rester sous contrôle.

Perspectives et évolutions

La nutrition sportive a considérablement évolué ces dernières années. "Début des années 2000, dans les années 90, on occultait beaucoup cet aspect [...] Là où aujourd'hui, c'est devenu quelque chose, je n'ai pas envie de dire de routinier, mais quand même assez fréquent", témoigne Anthony Berthou. Le microbiote est passé du statut de curiosité scientifique à celui de facteur clé de performance.

L'avenir promet des avancées passionnantes. Imaginez des protocoles nutritionnels personnalisés selon votre profil microbien. Des souches bactériennes spécifiques pour booster la récupération ou l'endurance. Ces perspectives se dessinent déjà dans les laboratoires.

Mais Anthony Berthou tempère l'enthousiasme : "On a une course actuellement à apporter des solutions de miracle dans le monde du sport [...] J'appelle ça la cerise sur le gâteau". La vraie révolution n'est pas dans la pilule miracle mais dans le retour aux fondamentaux : une alimentation variée, de qualité, respectueuse de notre écosystème intérieur.

Notes de l'émission

Ressources mentionnées

Pour approfondir

Anthony Berthou continue d'enseigner à l'EPFL de Lausanne et intervient dans sept diplômes universitaires. Son approche unique réconcilie performance sportive, santé individuelle et enjeux planétaires.

Envie d'optimiser votre écosystème intestinal ?

Faites l'analyse complète de votre microbiote et recevez des recommandations personnalisées via le lien : https://symp.co/

Découvrir nos autres podcasts
image non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispoimage non dispo
Transcript